Ponctuation (Maurice Carême)





Ponctuation


Ce n’est pas pour me vanter,
Disait la virgule,
Mais, sans mon jeu de pendules,
Les mots tels des somnambules,
Ne feraient que se heurter.

C’est possible, dit le point.
Mais je règne, moi,
Et les grandes majuscules
Se moquent toutes de toi
Et de ta queue minuscule.

Ne soyez pas ridicules,
Dit le point-virgule,
On vous voit moins que la trace
De fourmis sur une glace.
Cessez vos conciliabules.

Ou, tous deux, je vous remplace !



Maurice Carême




Les pêches (Léon Tolstoï)







Le paysan Tikhou Kouzmith, revenant de la ville, appela ses enfants.

«Regardez, mes enfants, dit-il, quel cadeau l’oncle Ephrim vous envoie.»

Les enfants accoururent, et le père ouvrit le petit paquet.

«Voyez les jolies pommes, s’écria Vania, jeune garçon de six ans ; regarde, maman, comme elles sont rouges.

- Non, ce ne sont probablement pas des pommes, dit Serge, le fils aîné ; vois leur peau, on dirait qu’elle est recouverte de duvet.


- Ce sont des pêches, dit le père ; vous n’avez pas encore vu de pareils fruits ; l’oncle Ephrim les a cultivées dans la serre, car il prétend que les pêches ne poussent que dans les pays chauds, et que, chez nous, on ne peut les récolter que dans les serres.


- Et qu’est-ce qu’une serre ? demanda Volodia, le troisième fils de Tikhou.


- Une serre, c’est une grande maison dont les murs et le toit sont vides. L’oncle Ephrim m’a expliqué qu’on la construisit ainsi pour que le soleil puisse réchauffer les plantes. L’hiver, au moyen d’un poêle particulier, on maintient la température au même degré.


«Voilà pour toi, femme, la plus grosse pêche, et ces quatre là sont à vous, enfants.»

«Eh bien ! demanda Tikhou le soir même, comment trouvez-vous ces fruits ?

Ils ont un goût si fin, si savoureux, répondit Serge, que je veux planter le noyau dans un pot ; et il en poussera peut-être un arbre qui se développera dans l’isba.

- Tu serais peut-être un bon jardinier : voilà que tu songes à faire pousser des arbres, reprit le père.


- Et moi, reprit le petit Vania, je l’ai trouvée si bonne, la pêche, que j’ai demandé à maman la moitié de la sienne ; mais le noyau, je l’ai jeté !


- Toi, tu es encore tout jeune, dit le père.


- Vania a jeté le noyau, dit le second fils, Vasili, moi, je l’ai ramassé ; il était bien dur ; il y avait dedans une amande qui avait le goût de la noix, mais plus amer. Quant à ma pêche, je l’ai vendue dix kopecks ; elle ne valait d’ailleurs pas davantage.»


Tikhou hocha la tête.

«C’est trop tôt pour toi de commencer à faire du commerce ; tu veux donc devenir marchand ?

- Et toi, Volodia, tu ne dis rien.
Eh bien ! demanda Tikhou à son troisième fils, ta pêche avait-elle bon goût ?

- Je ne sais pas ! répondit Volodia.


- Comment ! Tu ne sais pas ? reprit le père... tu ne l’as donc pas mangée ?


- Je l’ai portée à Gucha, répondit Volodia ; il était malade, je lui ai raconté ce que tu nous as dit à propos de ce fruit, et il ne faisait que contempler la pêche. Je la lui ai donnée ; mais Gucha ne voulait pas la prendre, alors je l’ai posée près de lui et me suis enfui.»


Le père mit la main sur la tête de son fils et lui dit :

«Tu est bon et délicat».

Léon Tolstoï (contes et fables)

La pomme et l'escargot (Charles Vildrac)









La pomme et l’escargot



Il y avait une pomme
A la cime d’un pommier ;
Un grand coup de vent d’automne
La fit tomber dans le pré.

Pomme, pomme, t’es-tu fait mal ?
-J’ai le menton en marmelade,
-Le nez fendu et l’oeil poché !

Elle roule, quel dommage !
Sur un petit escargot
Qui s’en allait au village
Sa demeure sur son dos.

Pomme, pomme, t’es-tu fait mal ?
-J’ai le menton en marmelade,
Le nez fendu et l’oeil poché !

Ah ! stupide créature, 
Gémit l’animal cornu,
T’as défoncé ma toiture
Et me voici faible et nu.

Pomme, pomme, t’es-tu fait mal ?
-J’ai le menton en marmelade,
-Le nez fendu et l’oeil poché !

Dans la pomme à demi-blette (*)
L’escargot, comme un gros ver,
Rongea, creusa sa chambrette
Afin d’y passer l’hiver.



Charles Vildrac (Pin Pon d’Or)







(*) blette : en tombant la pomme s'est meurtrie ; sa chair devient toute molle et brune.

Odelette (Madeleine Ley)








Odelette




Araignée grise
Araignée d’argent
Ton échelle exquise
Tremble dans le vent.

Toile d’araignée
-émerveillement-
Lourde de rosée
Dans le matin blanc !
Ouvrage subtil
Qui frissonne et ploie,
O maison de fil,
Escalier de soie !

Araignée grise
Araignée d’argent
Ton échelle exquise
Tremble dans le vent.


Madeleine Ley




Les moineaux (Albert Glatigny)






Les moineaux



Qu’ils sont jolis, les moineaux francs (1),
Les effrontés (2), que je les aime !
Peuple insoucieux et bohème (3)
Ils sont crânes et conquérants (4)!

Petits, ils se moquent des grands,
Ils nargueraient (5) l’aigle lui-même,
Qu’ils sont jolis, les moineaux francs !
Sous les vastes cieux transparents.

Que la nuit d’étoiles parsème,
Le rossignol dit son poème (6).
Gavroches (7) au soleil errants,
Qu’ils sont jolis, les moineaux francs !



Albert Glatigny














(1) Les moineaux francs sont sans aucune fausseté ni malice. 

    (2) Les effrontés : les moineaux semblent n’avoir peur de rien, ils sont hardis.

    (3) Peuple insoucieux et bohème : ces oiseaux, comme les gens qui vivent au jour le jour, ne se font aucun souci.

      (4) Ils sont crânes et conquérants : ils sont fiers et décidés.

        (5 ) Ils nargueraient l’aigle lui-même : eux, si petits, oseraient braver le roi des oiseaux.

          (6) Le rossignol dit son poème : son chant, plein de poésie.

            (7) Gavroches : ce mot désigne de jeunes garçons qui ont de l’audace et de la gentillsse ; les moineaux leur ressemblent ; ils errent, ils se promènent çà et là, au soleil.



            Berceuse (Maurice Carême)









            Berceuse




            Au fond des bois,
            Couleur de faîne*,
            La feuille choit*
            Si doucement
            Que c’est à peine
            Si on l’entend.

            A la fontaine,
            Le merle boit
            Si doucement
            Que c’est à peine
            Si on l’entend.

            A demi-voix,
            Si doucement
            Que c’est à peine
            Si on l’entend.

            Une maman
            Berce la peine
            De son enfant.




            Maurice Carême









            */ Couleur de faîne : le faîne est le fruit d’un grand arbre, le hêtre. Ce fruit est entouré d’une fine enveloppe de couleur marron, comme les feuilles des bois en automne.







            Faîne (fruit du hêtre)






            La feuille choit : la feuille morte tombe ; l’automne est la saison de la chute des feuilles.

            Le Printemps (Théophile Gautier)






            Le printemps


            Regardez les branches,
            Comme elles sont blanches !
            Il neige des fleurs.
            Riant dans la pluie,
            Le soleil essuie
            Les saules en pleurs*,
            Et le ciel reflète*
            Dans la violette,
            Ses pures couleurs.

            La mouche ouvre l’aile.
            Et la demoiselle*,
            Aux prunelles d’or,
            Au corset de guêpe
            Dépliant son crêpe*
            A repris l’essor.
            L’eau gaiement babille*,
            Le goujon frétille* :
            Un printemps encore !



            Théophile Gautier














            Les saules en pleurs : des arbres, qu’on appelle saules pleureurs, ont des branches très souples qui retombent tout autour du tronc. Ils ont l’air de pleurer.




            Saule Pleureur






            Le ciel reflète : le ciel renvoie ses couleurs sur les pétales des violettes.






            La demoiselle, c’est la libellule.



            Libellule






            Dépliant son crêpe : dépliant ses ailes qui ressemblent à l’étoffe légère et plissée qu’on appelle le crêpe.







            L’eau babille : elle fait en coulant un bruit pareil à celui d’enfants qui parlent sans arrêt.







            Le goujon frétille : le petit poisson s’agite dans l’eau.



            La Cigale et la Fourmi (La Fontaine)






            La Cigale et la Fourmi



            La Cigale, ayant chanté

            Tout l'été,
            Se trouva fort dépourvue
            Quand la bise fut venue :
            Pas un seul petit morceau
            De mouche ou de vermisseau.
            Elle alla crier famine
            Chez la Fourmi sa voisine,
            La priant de lui prêter
            Quelque grain pour subsister
            Jusqu'à la saison nouvelle.
            "Je vous paierai, lui dit-elle,
            Avant l'Oût, foi d'animal,
            Intérêt et principal. "
            La Fourmi n'est pas prêteuse :
            C'est là son moindre défaut.
            Que faisiez-vous au temps chaud ?
            Dit-elle à cette emprunteuse.
            - Nuit et jour à tout venant
            Je chantais, ne vous déplaise.
            - Vous chantiez ? j'en suis fort aise.
            Eh bien! dansez maintenant.