Les Noëls d'autrefois (Joseph Cressot)






Les Noëls d’autrefois


Dites-moi pourquoi les Noëls d’autrefois sont tous enveloppés de neige et étincelants d’étoiles ? S’il en fut de maussades, ma mémoire d’enfant n’en a rien retenu. Noël ne sera jamais un jour comme les autres ; Noël, c’est la veillée, c’est la messe de minuit, c’est le réveillon.

Le sommeil prenait les petits sur leur chaise basse, sur les genoux de la maman ; on les portait au lit. Les grands avaient le droit de veiller et d’attendre.

Mon père posait sur les chenets le tronc de pommier, la lourde souche de charme ou de noyer qui attendait depuis des mois. Je l’entends qui sonne contre la taque, je la vois, noueuse et bossue, avec ses mousses et son écorce crevassée.

On fait cercle autour du feu, les femmes à bonne distance sur leur couvet, avec l’aiguille ou le tricot, les hommes tisonnant, les enfants se rôtissant les grèves et buvant de tous leurs yeux la féerie des étincelles.

La vielle horloge fait sont tic-tac ; elle pousse lentement ses aiguilles vers les heures et les demies. Par la cheminée, descend la grosse cloche du premier coup, le tintement d’argent du deuxième coup, les volées unies du dernier appel. Quelle étrange musique, ces cloches dans la nuit ! On se hâte de garnir les chaufferettes et de couvrir le feu, on s’emmitoufle de capelines et de cache-nez, et l’on s’en va vers l’église, laissant dans la maison la flamme palpitante qui dit à travers la vitres : « Je suis là, je vous attends… ».

Beaucoup plus tard, j’ai lu dans les livres que les villes ont des tables éblouissantes, des cristaux, des rires, des toilettes, des huîtres, du champagne… et que cela s’appelle un réveillon. Chez nous, il en allait autrement.

Quand elle avait refermé la porte et rallumé la petite lampe de cuivre, maman disait, toute resserrée encore dans son fichu : "Maintenant, nous allons réveillonner."

La table était vite dressée. A côté de la chatte qui regardait les braises, le pot noir avancé dans les cendres nous gardait un jambon, longuement mijoté dans son court-bouillon. Elle n’avait pas la saveur des autres, cette tranche grasse et maigre, rouge et rose, onctueuse et salée, que l’on mangeait si tard dans la nuit. Y avait-il autre chose ? Une gaufre, peut être, sèche et croquante, bien meilleure quand ele était roussie, et un verre de vin chaud. Dans le saladier, une bouteille du vin de nos vignes, tiédie au coin de l’âtre ; du sucre, un peu d’eau et pour finir, le manche de la pelle à feu rougi dans les braises ; le vin sifflait, bouillonnait, se couvrait d’écume blanchissante. Le verre réchauffait les mains jointes, puis chaque gorgée descendait comme un feu vif et doux.

Au lit, je retrouvais le petit frère endormi, couché en travers dans les draps froissés ; je retrouvais le cruchon d’eau chaude faisant la belle jambe dans un bas à côtes… Il n’y avait plus qu’à dormir.

Le Père Noël me pardonnera si je le néglige, il ne venait gère visiter nos sabots. Nous étions sans doute trop éloignés des grandes routes et même de la grand-rue…

Quelques nuits, quelques jours, une veillée, une autre nuit, et voici le 1er janvier…

Le jour gris n’avait pas touché nos rideaux que nous étions réveillés. Le craquement du fagot dans la cuisine nous disait le feu flambant. Alors, nous sautions du lit et nous courions souhaiter la bonne année à nos parents. Il n’y avait pas deux façons ; depuis toujours et pour tous la même formule : « Je vous souhaite une bonne année, une bonne santé, le Paradis à la fin de vos jours. »

Ajoutez la musique chantante et traînante qui donne aux mots leur goût de terroir. Quelle impatience de courir chez la marraine, chez le parrain, les oncles et les tantes, les grands-parents ! On entrait, on bredouillait sa « bonne année », on rencontrait une joue piquante, un bout de nez froid et l’on attendait ses étrennes. Sur la longue table, une marraine soucieuse de ses devoirs avait aligné pour ses filleuls des pipes en sucre, des pains d’épice, des pralines, des oranges et de ces « papillottes » dont le papier frisé cache un gros fondant rose et une minuscule machine infernale. Les premiers arrivés choisissaient.

On courait de là chez l’oncle, puis chez le grand-père, qui avait préparé son écu, et puis chez la grand-mère Nanette, et puis chez la tante Soeurette, qui n’oubliait jamais l’utile.



Joseph Cressot










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